Je m’appelle Sidonie et je suis en prison
Ma vie n’est pas drôle, être privée de liberté est la pire des choses qu’il puisse arriver dans l’existence. C’est une prison très bizarre, elle est claire, moderne, spacieuse, fleurie, on a de a place, tant que d’autres détenus ne viennent pas nous rejoindre. C’est une prison collective, un nouveau concept, parait il…Nous sommes plusieurs dans la même cellule, de ce fait, on s’ennuie un peu moins, on discute, on échange des idées. Par contre, si l’on est pas du même avis, ça tourne vite au pugilat et certains se battent.
L’autre jour, René et Gaston se sont tapés dessus pour une sombre histoire de place pour dormir, tous les deux volaient la même à l’abri derrière une grande plante. C’est Gaston qui a gagné et René en a été quitte pour un bras cassé. Quelqu’un de l’extérieur, un type vêtu de blanc est venu le chercher, un infirmier sans doute, depuis personne ne l’a revu. Je me demande ce qu’il est devenu. Tous les jours j’espère qu’ils vont le ramener , mais toujours rien, malgré tout, je continue à espérer, je l’aime bien René, c’est un bon copain.
Ce qui est plutôt sympa dans cette prison c’est qu’elle est mixte, garçons et filles sont mélangés. De temps en temps, évidemment, il y a quelques naissances, la nature est ainsi faite. Etre ensemble nuit et jour engendre quelques désirs bien légitimes. Les bébés sont mis à part dans une pouponnière le temps qu’ils grandissent, ensuite ils nous rejoignent.
Moi, j’ai un amoureux, il s’appelle Charles et nous nous entendons bien , il est gentil et me protège contre ceux, qui parfois, voudraient me draguer.
Lorsque l’on entend quelqu’un de l’extérieur s’approcher de notre prison, avec Charles on se cache derrière de la verdure, on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve. Nous sommes des prisonniers, des condamnés, il ne faut pas l’oublier. Certains ont disparu ainsi, on est venu les chercher et ils ne sont jamais revenus. Ne me demandez pas ce que j’ai fait pour être enfermée ainsi, je ne sais pas. Mais souvent j’ai peur. Charles me dit que j’étais là au mauvais moment et que j’ai dû voir quelque chose qu’il ne fallait pas, bizarre quand même, je ne souviens de rien.
Les disparitions presque journalières de nos copains m’inquiètent. Je sais qu’un jour ce sera mon tour » de passer à la casserole », comme on dit. Alors, en attendant ce moment fatidique, avec Charles, on ne se quitte pas, on vivote et on s’aime.
Ce soir c’est le réveillon, il y a des guirlandes, des lumières qui scintillent un peu partout. La décoration est magnifique et on entend un orchestre qui répète avant que la fête commence. C’est l’effervescence, on change d’année mais ce n’est pas pour cela que l’on va nous libérer. Même un premier de l’an, il n’y a pas de miracles, au contraire, ce matin, quatre types en blanc sont venus chercher quatre de nos copains. Les pauvres se sont débattus, mais rien n’y a fait, on leur a mis les menottes et on les a embarqués. Je déteste celui qui a l’air d’être le chef, c’est un petit gros potelé et rougeaud, si je pouvais , si j’étais libre, je le tuerais, au moins je saurais pourquoi je suis enfermée. Avec Charles, on a senti le coup venir et on s’est vite planqué. Ni vu, ni connu, ce soir, ce n’est pas encore notre tour.
C’est à minuit pile qu’il se passe une drôle de chose…La fête bat son plein. De derrière les vitres de notre prison, nous regardons les autres, ceux qui sont libres, ils rient, ils chantent, ils dansent, ils boivent du champagne, la vie est belle.
Un grand bruit soudain couvre celui de l’orchestre et les rires des participants. Le sol tremble, ébranle notre cellule, des cris accompagnent cette secousse, nous sommes propulsés les uns contre les autres. Devant nos yeux hagards, ceux qui dansaient quelques minutes plus tôt, se cognent les uns contre les autres, tombent et roulent sur le plancher en pente entraînant avec eux notre prison dans cette descente vertigineuse et inexpliquée. Avec Charles, nous nous cramponnons l’un à l’autre, nous ne comprenons pas. Que se passe- t – il ? Serait-ce un tremblement de terre ? Un tsunami? La fin du monde ? Une météorite qui vient de nous tomber dessus ?
Tout va alors très vite..Devant nos yeux ébahis, le plafond de la salle des festivités s’écroule, entraînant avec lui tous ces gens heureux de fêter le nouvel an et notre habitacle maudit qui roule et se retourne. De la brèche ouverte dans le plafond s’écoule des tonnes d’eau , noyant en quelques minutes cette masse humaine enchevêtrée.
Charles et moi, nous nageons côte à côte sans aucun problème. Ce nouvel an est pour nous le plus beau de notre vie, il a le gout de la liberté.
L’eau est glaciale, mais qu’importe..Par une fenêtre brisée, nous rejoignons la mer. Nous évitons quelques énormes morceaux de glace qui viennent à notre rencontre. Des corps flottent tout autour de nous et s’enfoncent lentement dans les flots troubles qui les aspirent.
Nous continuons à nager allègrement…Rien de plus facile pour une langouste et un beau homard bleu, enfin libérés de leur aquarium. D’autres compagnons d’infortune , enfin libres se joignent à nous et tandis que nous nous enfonçons dans l’eau grise cette nuit de nouvel an, nos yeux perçants lisent sur la proue du paquebot englouti par les flots et brisé par un énorme iceberg, son nom : « LE TITANIC ».